Ils ont vécu la guerre,
fondé très jeunes une famille, tout sacrifié pour le bien-être de leur
progéniture. Ils n'ont pas piqué de crises d’adolescence ;
ils ne se sont pas lamentés sur le défi d’avoir trente ans, la difficulté d’en
passer quarante, la peur d’en atteindre soixante. Nos parents (grands-parents)
sont à certains égards des vrais super-héros, qui non seulement ont surmonté les
épreuves de la vie sans avoir besoin de les noyer le soir dans des bières à 5
euros, mais qui en plus gèrent les choses pratiques du quotidien avec un
savoir-faire et un naturel que je n’ai jamais perçus chez aucune personne de ma
génération. Je ne veux pas mettre tout le monde dans le même panier, mais pour
ma part je ne peux pas m’empêcher de me sentir un peu boulet voire carrément
empotée quand je compare mon évolution dans l’âge adulte avec le parcours
de mes parents.
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''Mais si M'man, je t'assure, je mange bien. Mais oui, je me prépare des vrais trucs !'' |
Un des trucs pour
lesquels je me sens vraiment nulle, c’est la cuisine. Ma mère est un vrai
cordon bleu. Qui maîtrise à la fois l’art épicé du Tom Yam et le secret des
quenelles sauce Nantua ; la délicatesse du canard laqué et la tradition d’un
bon bourguignon. Moi, quand je coupe quelques endives, défait un paquet de
saumon fumé et que je dispose joliment le tout sur une assiette, non sans avoir
eu le génie d’ajouter quelques noix pour la touche créative, je me sens vraiment
satisfaite.
En général, quand des amis de mon âge m’invitent à dîner chez eux, je fais plus ou moins le même constat. Beaucoup de cérémonial pour rien (les émissions culinaires à la con n’aident pas), ballons à vin et assiettes de style, peu de plats mijotés maison, et merci les rayons fraîcheur de vivre qui fleurissent de nos jours dans les supérettes du coin. Si je disais à ma mère le prix d’une brique de potage tout préparé spécial saveurs du marché, vendue en exclusivité chez Monop, je crois qu’elle me ferait la gueule pendant des jours. Ne parlons même pas du goût, car suivant la tendance qui domine l’époque et l’entourage, c’est l’emballage qui compte.
En général, quand des amis de mon âge m’invitent à dîner chez eux, je fais plus ou moins le même constat. Beaucoup de cérémonial pour rien (les émissions culinaires à la con n’aident pas), ballons à vin et assiettes de style, peu de plats mijotés maison, et merci les rayons fraîcheur de vivre qui fleurissent de nos jours dans les supérettes du coin. Si je disais à ma mère le prix d’une brique de potage tout préparé spécial saveurs du marché, vendue en exclusivité chez Monop, je crois qu’elle me ferait la gueule pendant des jours. Ne parlons même pas du goût, car suivant la tendance qui domine l’époque et l’entourage, c’est l’emballage qui compte.
Au marché, je ne
me débrouille pas très bien. D’abord, j’ai remarqué que dans bien des cas, un
jeune Parisien de la trentaine qui fait le marché ressent généralement le
besoin de le signaler haut et fort (il a dû se lever spécialement le samedi
matin pour ca). Pour ma mère, le marché est juste une activité de tous les
jours et pas un truc du weekend pour se donner bonne conscience et passer à la
mode saine. En fait, c’est même plus qu’une habitude pour elle : c’est une
évidence. Ses plats servis sans fioriture et néanmoins merveilleux alors qu’on
la prévient de notre arrivée à la dernière minute, sont aussi une évidence. En
fait, beaucoup de choses qui m’apparaissent compliquées, opaques,
insurmontables, héroïques, sont visiblement pour elle de simples évidences.
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Le riz cantonnais ? Facile. |
Je me suis demandée pourquoi j’avais autant de
mal à faire un riz cantonnais. Je sais le faire, quand même hein, mais il me
faut toujours le planifier à l’avance et même l’annoncer en forme d’exploit : ''Tiens, samedi (dans trois jours), je vais faire un riz cantonnais.'' Rien à
voir avec le tour de prestigidateur de ma mère, la Brian Flanagan de la cuisine
asiatique. Pourquoi je n’ai rien hérité de ce talent-là ? On m’a souvent
rétorquée, ''c’est parce que tu fais autre chose'', ''c’est parce qu’elle, elle
n’avait pas d’autre choix que de savoir bien cuisiner'', etc. Si ces arguments
peuvent faire sens, je ne peux pas m’empêcher de comparer mon ignorance
culinaire à d’autres méconnaissances toutes aussi mal vécues – celles des
origines et de l’histoire familiale. Evidemment, on n’apprend pas d’où on vient
comme on apprend à confectionner des rouleaux de printemps. Dans les deux cas,
les livres (de recettes ou d’histoire) aident à combler les défauts de la
transmission orale. Dans les deux cas, quand je demande à ma mère pourquoi elle
ne m’en a pas appris davantage, plus vite, plus tôt, plus jeune, elle me répond
invariablement : parce que tu ne m’as pas demandé. Simple, efficace – maintenant
que je sais ça, j’ai intérêt à me mettre bien vite aux
fourneaux.
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