Comment tourner à son avantage les préjugés racistes envers les asiatiques

Benetton, la diversité à l'ancienne
L’autre jour, lors d’un entretien d’embauche, on m’a fait remarquer comme un compliment que j’étais une jeune femme issue de la "diversité", "et très diplômée, en plus". Un peu gênée, et ne sachant si je devais répondre merci, j’ai simplement souri. Certains porte-voix plus ou moins radicaux auraient vite fait de condamner ces propos en les taxant de racistes et de discriminatoires, et d'exiger des explications sur le sens de ce "en plus", sous peine de poursuites pénales. Je n'arrive pas à m'insurger pour ce genre de petite bévue, croyant sincèrement qu'à force de crier au loup dans tous les sens, plus personne ne l'entendra arriver vraiment.

On rétorquera qu’il m’est facile de brandir l’étendard de la dédramatisation quand je ne suis pas, il est vrai, particulièrement sujette aux préjugés et commentaires racistes les plus virulents. C’est triste et difficile à dire, mais il a toujours existé en France une hiérarchie (variable) parmi les immigrés, établie dans l’imaginaire d’une vieille France renfermée sur elle-même, et qui ne place pas au même niveau d’infériorité/de nuisance/d’étrangeté les Noirs, les Arabes, les Chinois, les Indiens, les Roms, etc… Il faut dire les choses comme elles sont : historiquement, les Asiatiques de France ne sont pas les immigrés les plus exposés aux menaces, aux insultes et discriminations (espérons que les temps ne sont pas en train de changer). Cela n’empêche pas que j’ai déjà gratifiée quelques fois d’un « sale chinetoque » : facile, gratuit, efficace.

Mais malgré quelques épisodes blessants remontant quasiment tous à l’enfance – une époque où toutes les insultes, racistes ou non, sont blessantes – je dois reconnaître que je n’ai pas souffert outre mesure de mon appartenance à "la diversité". Je sais que chaque parcours est une exception. Le mien fait que si je mets bout à bout tous les préjugés raciaux auxquels j’ai pu être confrontée en tant que Française d’origine asiatique, je dois reconnaître que la plupart d’entre eux font peser la balance de la discrimination du côté positif. Démonstration en 5 exemples.

1. Les asiatiques sont bons en maths (et en tout).

Plus généralement, ils sont premiers à l’école dans toutes les matières. Ce cliché, considéré par certains comme ignoblement raciste, doit en réalité être utilisé comme un atout dès plus jeune âge. Exemple : Tran, 6 ans, est au CP. Dans l’esprit de la maîtresse, l’association asiatique=bon en calcul mental, ne tarde pas à faire son effet. La maîtresse croit naturellement au potentiel de Tran, alors qu’elle ne mettrait pas sa main à couper sur l’avenir de Kévin. Sans le vouloir, et même si c’est une bonne maîtresse, elle sera plus encline à encourager Tran que Kévin. En réaction à cet a priori positif émis par la maîtresse, Tran prend confiance en lui. Il devient bon en calcul et par ricochet dans toutes les autres matières, perpétuant ainsi tranquillement un stéréotype en forme de privilège – qu’il serait bien dommage de perdre. Pendant ce temps, Kévin sombre.

2. Les asiatiques sont discrets (et ne prennent pas beaucoup de place).

Malgré le karaoké à fond les ballons le dimanche soir, malgré les disputes à répétition dans un dialecte pas hyper mélodieux, et malgré les odeurs de sauce poisson qui mettent des jours à s’évaporer, ce n’est jamais la famille asiatique du 4e étage que le gardien, ou même la police va voir en cas de conflit de voisinage. Surtout si au 5e il y a une famille camerounaise avec 5 enfants dans un F2. Les Chinois, eux, ils en ont 7 des enfants, et ils hébergent en plus des cousins qui sortent de nulle part et ne semblent pas avoir l'âge de travailler. Sauf que "vous savez, Monsieur le gardien, les Wang, ils sont vraiment calmes, toujours souriants, jamais un mot de trop". Alors qu’en fait, ça c’est parce que les Wang, même si ça fait 10 ans qu’ils vivent là, ils ont jamais appris à parler le Français.

3. Les asiatiques travaillent beaucoup sans se plaindre (et sans papiers).

A compétence égale, pour un boulot qui ne nécessite pas trop de qualifications mais un gros investissement physique (serveur, ou manutentionnaire, etc) il est possible qu’un employeur préfère un asiatique à un non-asiatique. La représentation d’ouvrières qui triment 15 heures d’affilée sans broncher, ou encore celle des traiteurs chinois qui ne ferment qu’un seul jour dans l’année, a imprimé dans son esprit un a priori selon lequel les asiatiques travaillent beaucoup, longtemps, clandestinement et donc sans syndicat. Pour peu que l’employeur ressasse tout seul ces images, il se retrouve hanté par une culpabilité irrationnelle qui le pousse à ménager Ling davantage que ses collègues, parce qu’elle ne dit jamais rien et doit probablement en faire beaucoup plus que les autres. Alors qu’il est possible qu’en réalité, Ling fait profil bas parce que dès que le boss n’est pas là, elle joue au poker sur son iPhone, fabriqué à la chaîne par des jeunes ouvriers qui ne se reposent jamais.

4. Les immigrés asiatiques ont beaucoup souffert (en silence).

En France, tous les immigrés d’Asie du Sud-Est sont potentiellement des boat people, ou des survivants du régime Khmer rouge, témoins de l’histoire sanglante de l’ex-Indochine. La plupart ont assez bonne presse dans les colonnes dédiées de l'intégration – peut-être cela tient-il au fait que certains conflits, à l’instar de la Guerre du Vietnam, furent assez médiatisés, gueule de stars à l'affiche. Il existe en tout cas un capital compassion pour les réfugiés arrivés entre la fin des années 70 et les années 80, dans un contexte politique et économique favorable à leur accueil. Il est bien vrai que la plupart ont effectivement fui la guerre, perdu leurs proches, et sont repartis de rien. Mais il est vrai aussi que lorsque certaines personnes prennent des pincettes pour vous parler "des événements qui vous ont amené en France", alors que vous êtes nés à Strasbourg ou Clermont-Ferrand, cela peut donner envie de faire pleurer son auditoire avec des détails plus larmoyants qu’il ne le faudrait.

5. Les asiatiques pratiquent le kung fu (ou un autre art martial).

Le côté négatif de ce cliché-là, c’est que dans la cour de récré, vos camarades les plus subtils vous accueillent avec des mimiques censées faire référence à Bruce Lee. Le côté positif, c’est que les gens ne sont pas censés vous taper quand ils pensent que vous allez les enchaîner avec une clé de bras et un coup mortel du dragon. Ce préjugé, qui commence d'ailleurs à se faire désuet, a en grande partie été dicté par les médias, au sens large du terme. Le cinéma bien sûr, mais aussi les jeux vidéos. Par exemple, on m’a déjà surnommé "Chun Li". Ce fut pour moi source de malaise et de désespoir, parce que je me voyais alors dans la peau d’un tas de muscles enrobés dans un costume de chaudasse, pleine de pixels en plus, vu l’époque. Jusqu’au moment où j’ai compris que ce surnom n’émanait pas d’une intention malveillante ; mais d’une simple association elle-même opérée par des ados boutonneux qui n’avaient jamais eu la chance de voyager autrement qu’à travers leur Nintendo.

Des années plus tard, alors que je travaillais comme vendeuse dans une boutique avec un rayon enfant, une petite fille accompagnée de sa mère s’est timidement cachée derrière celle-ci pour lui dire : "Maman, c’est Mulan". Ce que j’avais aussitôt pris pour le plus beau compliment qui soit, avec les valeurs ajoutées de l’innocence et de la fantaisie. Mulan est une guerrière révoltée par sa condition, et je sais que les héroïnes de Disney sont faites pour apparaître belles aux yeux des petites filles. Alors oui, j’étais ok dans ce cas avec la comparaison. Mais toutes les comparaisons, aussi innocentes et fantaisistes soient-elles, ne sont pas bienvenues. Imaginez que la même petite fille, innocente et fantaisiste, tombe quelques mètres plus loin sur un petit garçon noir, et s’écrie : "Maman, on dirait Kirikou !". ça n’aurait peut-être pas la même répercussion (Disney, raciste ! avaient déjà crié des radicaux à la sortie du film), mais la démarche serait pourtant la même : dénuée de mauvaise intention, et même d’intention tout court. Tout ça pour dire : il vaut mieux crier au loup là où il est vraiment.

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